Corps sensible : cartographier l’intime
COMMISSAIRE/ CURATOR : VIRGINIE BRUNET-ASSELIN
Corps sensible : cartographier l’intime propose une rencontre, celle de 5 artistes qui, à travers le médium de la peinture, sondent les territoires tortueux de l’intimité.
Unies par leur approche sensible et poétique, elles exploitent les qualités lumineuses et tactiles de cette matière pour composer des atmosphères enveloppantes évoquant avec finesse différentes facettes liées à la sphère privée.
Avec un mélange de vulnérabilité et de pudeur, elles révèlent les saillies de leurs paysages intérieurs. Se tisse alors une constellation de thèmes et d’affects associés au domaine de l’intimité tels que la maternité, le deuil, la sexualité, l’identité, le rapport au corps et les liens affectifs.
Imprégnées de références à l’histoire de l’art et de symbolismes cachés, les œuvres présentées renferment des questionnements féministes, politiques et identitaires. Par le biais de leurs créations, les artistes aménagent un espace de réflexion intersectionnel et inclusif dans un climat de bienveillance et de douceur favorisant l’expérience émotionnelle partagée ainsi que la contemplation introspective.
C’est le cas de Rosalie Gamache qui exalte la sensualité et la fluidité des liens affectifs dans une perspective queer et féministe. Dans ses « mises en scènes de l’intimité », elle subvertit les codes de représentation historiques du nu en dissimulant les marqueurs sexuels de ses modèles sous une épaisse couche de matière évacuant par le fait même toute représentation ou interprétation stéréotypée des sujets en fonction de leur sexualité ou de leur appartenance à un genre. Ne subsistent alors que des corps aimants et désirants, capturés dans une étreinte.
Rihab Essayh magnifie quant à elle le pouvoir transformateur de la sororité, de la bienveillance et du sentiment d’appartenance à travers des représentations idéalisées et allégoriques de ses amies. De fait, les figures féminines y sont élevées au rang de saintes, véritables incarnations divines de douceur et de compassion. Une atmosphère éthérée teintée de tranquillité se dégage de ces portraits aux tons pastel lumineux. L’artiste s’inscrit ainsi dans un mouvement futuriste diasporique, féministe et décolonial.
Pour sa part, Maude Corriveau réactualise le genre de la nature morte et de l’hyperréalisme, articulant ses compositions autour de deux motifs classiques de l’histoire de l’art : la draperie et le gant, en y dissimulant une réflexion critique sur la société actuelle. Ces éléments qui cachent le corps pour mieux le magnifier sont des symboles d’intimité, de pouvoir et de vanité. En les représentant de manière illusionniste dans une esthétique évoquant le numérique, l’artiste engage une réflexion sur la porosité des frontières entre le domaine privé et le domaine intime, entre le réel et le factice de même qu’entre l’authenticité et l’artifice à l’ère des médias sociaux.
Marie-Claude Lacroix explore le thème du deuil. Son esthétique, inspirée de la nature morte et du surréalisme féminin, à l’intersection de la figuration et de l’abstraction, traduit avec poésie les émotions complexes que suscite la perte. Oscillant entre attirance et répulsion, douceur et hostilité, l’artiste propose une plongée dans les méandres de cette souffrance viscérale, intérieure et intime qu’elle fait remonter à la surface du visible. L’emploi de tonalités froides et de textures léchées ou visqueuses évoquant une chair à vif suturée contribuent à nous transporter dans cette atmosphère de recueillement.
Finalement, Isabelle Guimond, à travers ses représentations de scènes intérieures et ses autoportraits en plans rapprochés, traite, en filigrane, de son expérience de la maternité et du bouleversement que sa nouvelle condition de mère a eu sur son rapport au temps, à la création et à l’identité. Ses œuvres, baignées de tendres couleurs pastel, rayonnent d’une douceur apaisante et rendent compte de cette sensation d’une temporalité élastique, d’un « temps long » propre à la sphère domestique et au soin prodigué à un nouveau-né. Cela se dégage des représentations de sa chambre à coucher en camaïeu, dont la touche vaporeuse évoque le brouillard mental du post-partum. Dans ses autoportraits, elle exprime avec une poignante sincérité de la fatigue physique et émotionnelle consécutive à l’accouchement.
Corps sensible: cartographier l’intime brings together 5 artists who, through the medium of painting, probe the tortuous territories of intimacy.
United by their sensitive and poetic approach, they exploit the luminous and tactile qualities of this medium to create enveloping atmospheres that finely evoke different facets of the private sphere.
With a mixture of vulnerability and modesty, they reveal the protrusions of their inner landscapes. The result is a constellation of themes and emotions associated with intimacy, such as maternity, bereavement, sexuality, identity, the relationship with the body and emotional ties.
Steeped in art-historical references and hidden symbolisms, the works on show raise questions about feminism, politics and identity. Through their creations, the artists create an intersectional and inclusive space for reflection, in an atmosphere of kindness and gentleness that encourages shared emotional experience and introspective contemplation.
This is the case of Rosalie Gamache, who exalts the sensuality and fluidity of emotional bonds from a queer and feminist perspective. In her « stagings of intimacy », she subverts the historical codes of nude representation by concealing the sexual markers of her models under a thick layer of material, thereby evacuating any stereotypical representation or interpretation of the subjects in terms of their sexuality or gender. All that remains are loving, desiring bodies, captured in an embrace.
Rihab Essayh magnifies the transformative power of sisterhood, benevolence and a sense of belonging through idealised and allegorical representations of her friends. In fact, the female figures are elevated to the rank of saints, veritable divine embodiments of gentleness and compassion. An ethereal atmosphere tinged with tranquillity emanates from these portraits in luminous pastel tones. The artist is part of a diasporic, feminist and decolonial futurist movement.
For her part, Maude Corriveau updates the genre of still life and hyperrealism, articulating her compositions around two classic motifs from the history of art: the drapery and the glove, while concealing within them a critical reflection on today’s society. These elements, which hide the body in order to magnify it, are symbols of intimacy, power and vanity. By representing them illusionistically in an aesthetic evocative of the digital age, the artist reflects on the porous boundaries between the private and the intimate, between the real and the fake, and between authenticity and artifice in the age of social media.
Marie-Claude Lacroix explores the theme of bereavement. Her aesthetic, inspired by still life and feminine surrealism, at the crossroads of figuration and abstraction, poetically translates the complex emotions aroused by loss. Oscillating between attraction and repulsion, gentleness and hostility, the artist plunges into the meanders of this visceral, inner and intimate suffering that she brings to the surface of the visible. The use of cold tones and polished or viscous textures evoking raw, sutured flesh help to transport us into this atmosphere of contemplation.
Finally, Isabelle Guimond‘s depictions of interior scenes and close-up self-portraits deal with her experience of motherhood and the upheaval that her new status as a mother has had on her relationship with time, creation and identity. Her works, bathed in tender pastel colours, radiate a soothing gentleness and capture the feeling of an elastic temporality, of a ‘long time’ specific to the domestic sphere and to the care lavished on a newborn baby. This is evident in the cameo depictions of her bedroom, whose vaporous brushstrokes evoke the mental fog of the post-partum period. In her self-portraits, she expresses with poignant sincerity the physical and emotional fatigue of childbirth.
ARTISTS.ES:
- ROSALIE GAMACHE
- MAUDE CORRIVEAU
- ISABELLE GUIMOND
- MARIE-CLAUDE LACROIX
- RIHAB ESSAYH